Hier, un ami m’a fait suivre un courriel qu’il avait reçu. Un courriel militant pour la préservation des coquelicots.
Je suis — bien évidemment — pour la préservation des coquelicots, c’est ma fleur préférée. Parce qu’elle est d’un rouge éclatant, qu’elle est fragile, qu’elle est rebelle à toute cueillette en se fanant dans les minutes qui suivent.
Je l’aime tellement que j’en ai fait un petit livre en 1984 (ça ne date donc pas d’hier) en imprimant sur des pétales de coquelicots, deux coquelicots par livre. On en trouve le descriptif ici.
Mais ce petit livre, comme la plupart des livres que j’ai conçus et imprimés, a été réalisé en utilisant des caractères en plomb (ou du moins contenant une très grande quantité de plomb). Je ne peux donc pas être contre la loi du plomb. Pour utiliser une expression contemporaine qui me fait vomir tellement elle est utilisée stupidement et à tort et à travers : Le plomb, ça fait partie de mon ADN professionnel. Ça fait bien, ça fait branché, d’utiliser ADN dans une expression. Ça fait culturé. Du plomb dans le désoxyribonucléique, je t’en ficherais, moi, ça doit faire un drôle de mélange chimique, et de drôles de dégâts. Bref, passons.
Résumons. Je suis pour les coquelicots, et pour le plomb des caractères. Je ne vous dirais pas si je suis pour ou contre les lois, ça fait partie de mon jardin secret et personnel rempli de plomb et de coquelicots. Et aussi de petits livres qu’on fait avec.
La loi contre les coquelicots (si j’ai bien compris) est pour qu’on réintroduise des copines et des copains de l’herbe à Nicot dans les champs et dans les vergers. Je suis un ancien fumeur qui a arrêté de son propre chef, de sa propre volonté, sans le secours d’un toubib ou d’une toubibesse, sans le secours d’un patch ou d’une pilule. Je ne voudrais pas que les pauvres arbres ni les pauvres champs soient de nouveau intoxiqués avec des saloperies nicotiniques. Qui sait s’ils ont la même force de caractère que moi, les champs et les arbres ? Vous avez déjà vu, vous, un arbre ou un champ tousser parce qu’on les a fumés à l’herbe à Nicot. C’est désespérant, c’est horrible, c’est à fendre l’âme au moins en deux ou en trois avec une grande cognée. Des grands soubresauts qui font bouger les branches ou qui font se soulever la terre. Et on ne parle pas du bruit que ça fait, terreux, caverneux, entrechoqueux, hideux et terrifieux.
Le patron-chef des coquelicots, c’est écrit sur le courriel, s’appelle : Nicolino. À une lettre près c’est Nicotino. Amusant, mais c’est un zazard. Quoiqu’on dise qu’il n’y ait pas de zazard dans la vie. Il doit être prédestiné, cet homme courageux. Le gros doigt du destin est sur lui qui le pousse en avant pour mener son combat, qui le revêt d’une armure, qui le place sur un fier destrier une épée dans une main, une lance dans l’autre au gonfanon coqueliquesque. Bravo.
Moi, pauvre vieillard presque sénile, je n’ai signé dans ma vie qu’une seule pétition. Et c’était pour la préservation du plomb (de l’Imprimerie nationale). Et ça n’a servi à rien. Faut dire qu’on a moins d’Imprimeries nationales en France que de coquelicots, donc c’est moins grave si ça n’a pas marché.
Alors je souhaite au chevalier Nicolino (blason : d’or au coquelicot de gueules ; devise : Recoquelifions nos champs et nos vergers ! ; cri de guerre : Luttons, luttons !) à l’armure éclatante qu’il gagne son combat et que, sous la forme d’un vol d’oiseaux migrateurs, il boute tous les néonicotinoïdes sur la planète Mars, sous la garde d’Elon X. Musk, interdit de séjour sur Terre.
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