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Dominique Autié
L'Heure d'hiver
 

Dominique Autié, l'Heure d'hiver.
 

L'une des caractéristiques majeures de la matière réside dans sa faculté de se souvenir. Bien sûr, il est assez difficile de se faire une idée précise des souvenirs que peuvent accumuler les pierres ou les plantes ; moins malaisé de s'en faire une sur ceux d'animaux évolués ; assez facile, en revanche, de comprendre comment s'accumulent ceux des autres humains, nous fonctionnons tous peu ou prou de la même façon.

Même lorsqu'ils ont disparu définitivement de l'univers à quatre dimensions dans lequel nous nous mouvons, nous gardons en mémoire ceux qui ont compté dans notre existence, en bien ou en mal. Et nous les faisons revivre, de manière fragmentaire, en excitant telle ou telle synapse bien adaptée à la remontée en surface. Bien sûr, ce ne sont pas les insignifiances que nous décidons de conserver en nous, parfois jusqu'à notre dernier jour ; ce sont les figures marquantes, ce sont les moments d'importance, ce sont les événements majeurs qu'ils soient heureux ou tragiques. Le reste n'est pas même retenu, ou se dilue rapidement dans le vinaigre de l'oubli.

Dominique Autié a vécu l'un de ces tragiques événements majeurs. Vu de l'extérieur, il s'agit d'un fait divers, de ceux que Félix Fénéon traitait en trois lignes avec cynisme et ironie. Vu de l'intérieur, c'est un traumatisme dont il n'est pas possible de se remettre totalement, même avec le temps. Son frère a été tué, renversé par un train, alors qu'il se rendait à dîner chez lui. Il se croyait en retard de dix minutes, il en avait cinquante d'avance, on était passé à l'heure d'hiver la nuit précédente. Écrivain, Dominique, pour exorciser la douleur, peut-être la culpabilité, écrivit. Ce fut Mon frère dans la tête.

Il a raconté dans son blog comment nous nous retrouvions à l'école Estienne pour y faire nos livres et comment il se rendait rue Sauffroy chez Jean-Hugues Malineau pour y plier et y coudre les livres imprimés à Estienne. Juste derrière la rue Sauffroy, dans la rue des Moines, se trouvait alors le siège, et une minuscule boutique de vente, des éditions Plasma avec l'équipe de qui, Jean-Hugues dans un premier temps, puis tous les autres de la bande, entretenaient des relations amicales. Ce fut donc tout naturellement à Plasma que Dominique proposa Mon frère dans la tête. Il fut accepté et publié en 1979. Dans un récit à la première personne, le narrateur y conte de manière clinique ses céphalées dues à la présence d'un frère embryonnaire dans sa tête et l'opération chirurgicale d'extraction qui s'ensuivit pour que la douleur disparaisse.

Mon frère dans la tête.

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Mais, sauf à procéder à l'ablation totale de la zone mémorielle du cerveau, les souvenirs ne peuvent s'éliminer aussi facilement qu'un kyste d'un simple coup de bistouri. Dominique éprouva le besoin de dire encore. Je lui avais demandé de me donner un texte. Il me le donna, ce fut l'Heure d'hiver. Une nouvelle dont la trame reprenait, en la transposant, la douloureuse réalité de son vécu.

Il était impossible pour moi de ne pas tenir compte des circonstances dans lesquelles Dominique avait écrit ce texte et me l'avait confié. Mais il fallait également qu'un lecteur éloigné de tout ce contexte puisse lire cette nouvelle sans rien savoir de ce qui l'avait fait naître. C'est ainsi que j'imaginai faire de la structure même du livre une manière de référent plus ou moins caché. N'y verraient qu'une présentation comme une autre ceux qui ne savaient pas ; pourraient y trouver un écho harmonique ceux qui savaient.

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Le choix des couleurs utilisées dans le livre se rattache à la symbolique du deuil. Le noir du texte (grand deuil), le violet du décor typographique, le gris franc du fil de couture, le gris chiné de la couverture et le gris-bleu du papier (demi-deuil). La lourdeur du décor végétal rappelle en outre celle des enterrements traditionnels.

Mais il fallait trouver encore plus près de Dominique que ces références colorées. J'appliquai aux lettres de l'alphabet ce code simplissime : a = 1, b = 2, etc. L'addition des lettres de « Dominique » et de « Autié » me permit d'obtenir deux nombres qui servirent aux proportions de tout le livre. Celles de ses dimensions en largeur et en hauteur, celles aussi du pavé de texte dans la page et des emmargements.

Le choix de l'italique, plus proche que le romain de l'écriture manuscrite, me parut propice à exprimer le ton de confidence du texte.

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La jaquette de couverture, dans le même papier que celui de l'intérieur du livre, rempliée sur la couverture grise n'en laisse voir qu'un fragment porteur des vignettes violettes. C'est la marque de l'enfermement de l'esprit dans le deuil.

On notera que Dominique n'avait que peu publié à l'époque. Deux plaquettes chez Commune Mesure (un court recueil de poèmes et un poème), à Mon frère dans la tête, chez Plasma, était venu s'ajouter Les Métropolitaines, un recueil de nouvelles et aux éditions des Prouvaires un recueil de notations poétiques dans le genre du haïku dont le titre, Ici le temps n'en finit pas, fait écho à l'Heure d'hiver. Aux mêmes éditions des Prouvaires paraîtront un C'est bien fait pour nous recueil de proses poétiques de Gérard Bialestowski et Le Spath, minéralogie burlesque d'un certain Christian Soulignac dont c'était le faire-part de naissance. Mais cela est une toute autre histoire...

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CLS
août 2012


Date de création : 16/08/2012 @ 13:23
Catégorie : Les livres commentés - Fourneau
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