Pourquoi
ce nom ?
Cette
question fut posée mainte et mainte fois. Alors, une dernière
fois, la réponse : plusieurs raisons sont à l’origine
de ce choix. La première est que le fourneau est le feu sur lequel
l’alchimiste travaille à transmuter le plomb en or. Or, c’est
le cas de le dire – assez immodestement, d’ailleurs –,
aux Éditions du Fourneau, après Rimbaud et son alchimie
du verbe, on tente l’alchimie du livre, c’est-à-dire
la transmutation du plomb du caractère typographique en l’or
du livre. La deuxième est que le fondateur des éditions
est jarryste (i. e. amateur d’Alfred Jarry). Et le personnage
d’Athanor le fourneau est l’interlocuteur du Père Ubu
dans les Almanachs du dit. L’Athanor est le nom traditionnel
du fourneau de l’alchimiste (on y revient !) mais les éditions
de l’Athanor, c’était déjà pris donc
retour au fourneau. Troisième et dernière raison, au tournant
du 19e et du 20e siècle, le qualificatif fourneau désignait
des personnes un peu bêtes (aujourd’hui on dirait : un
connard, un ouf). Cette troisième raison pour tempérer l’immodestie
de la première. C’est un peu dans ce sens que va cette affirmation
d’Erik Satie qu’on dirait taillée sur mesure pour les
Éditions du Fourneau : Ce
n’est pas « moderne » que d’avoir l’air
imposant. Le dernier « cri » demande autre chose :
l’air « fourneau » par exemple.
Domaine
d’activité.
On
l’aura compris, la littérature « fin-de-siècle »
(période 1870-1914) est un des centres d’intérêt
de l’éditeur. Nombre d’auteurs de cette période
se retrouvent au catalogue des éditions. Mais la littérature
contemporaine, sérieuse ou humoristique et celle du 20e siècle
ne sont pas oubliées pour autant. Un collection de textes du 16e siècle
était prévue mais a avorté. En dehors de la littérature
: un peu d’histoire littéraire et d’histoire du livre.
Les
débuts.
À
sa sortie de l’école Estienne, Christian Laucou avait déjà
réalisé une dizaine de petits livres mais les Éditions
du Fourneau n’existaient pas encore. Il avait gardé de bons
contact avec les professeurs de l’atelier de typographie et il put
y revenir – inscrit officiellement en cours de promotion sociale
– pour y imprimer les premiers titres du Fourneau. Six des douze
titres de 1977 furent ainsi imprimés (les numéros 2, 3,
4, 7, 8, 10 du catalogue), quatre des onze de 1978 (15, 17, 18, 19), un
n’y fut que composé (14). À la fin de l’année
scolaire 1978, pas de possibilité de revenir une troisième
année donc plus de possibilités d’imprimer par ses
propres moyens. Le Phonographe de Remy de Gourmont (14), composé
à Estienne fut imprimé à l’extérieur
(la composition avait été clichée). Un nouvel ouvrage,
Charnières de Marcel Béalu, fut lui aussi donné
à imprimer. Le texte (accepté avant même d’avoir
été lu : grave erreur de jeunesse) était médiocre ;
la maquette fut mauvaise, les illustrations indigentes et l’impression,
cerise sur le gateau, absolument détestable. L’ouvrage fut
un chef-d’œuvre de ratage, de ces ratages merveilleux dont
on ne peut atteindre la perfection formelle qu’une seule fois dans
son existence. Il fut aussi à l’origine d’une morosité
bien compréhensible de l’éditeur. C’est noyé
dans cette morosité qu’il reçut d’un ami un
coup de fil si tant improbable qu’il en était extraordinaire.
Approximativement : « Salut Christian ! Dis, ça
te dirait de publier un inédit de Céline ?... »
La stupeur passée, accord fut conclu mais à la condition
expresse de lire le manuscrit avant publication (après les
Charnières...) afin de constater qu’il ne pouvait déclencher
aucun veto personnel pour raison de divergence d’opinion avec l’auteur
du manuscrit. C’était le prologue à Féerie
pour une autre fois, de la littérature pur jus, rien à
redouter. L’ouvrage, dont l’impression fut confiée
à l’un des meilleurs imprimeurs de Paris, parut en 1979.
Une semaine ou deux avant sa parution un entrefilet de quatre lignes (dont
une creuse) l’annonça dans le Figaro magazine. Les
chèques affluèrent. Six semaines plus tard l’édition
de 200 exemplaires (chiffre de tirage imposé par le possesseur
du manuscrit) était épuisée. C’était
inespéré. L’imprimeur put être payé rubis
sur l’ongle. Le travail lui avait été commandé
alors que les caisses étaient totalement vides. Les chèques
des retardataires durent être renvoyés ; les lettres
d’insultes et de menaces des déçus arrivèrent
mais ça... c’est une autre histoire. Avec l’argent
qui restait en caisse, les Éditions du Fourneau pouvaient acquérir
leur première presse et leurs premières casses de caractères.
Elles étaient enfin autonomes. L’atelier fut installé
à Bannes (Marne) dans une maison familiale. Dès lors c’est
là que furent réalisés tous les ouvrages du Fourneau.

L’atelier de Bannes dans les années 1980.
En
1998, une occasion de louer un atelier à Paris se présenta.
Le matériel déménagea donc et les Éditions
du Fourneau s’ensommeillèrent au profit de Fornax éditeur.
Elles commencent à se réveiller, à Bannes toujours,
où un atelier nouveau termine de se constituer après le
rachat du plomb d’une imprimerie qui fermait.
Un
texte canonique.
À
l’occasion d’une exposition à Épernay qui présentait
le travail des éditions du Fourneau, Christian Soulignac se fendit
d’un texte resté inédit si l’on excepte le carton d’invitation
de cette exposition. Le voici :
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Christian
Laucou
et les Éditions du Fourneau
Quand
Christian Laucou est venu me voir pour me demander ce texte, j’ai été,
je l’avoue, quelque peu gêné. Il est rare que l’on parle
correctement de ce que l’on connaît trop bien : on se noie
tout de suite dans les détails.
Je connais Christian depuis toujours. C’est plus
qu’un ami, c’est presque un autre moi même. D’aucuns qui nous connaissent
trouvent que nous nous ressemblons étrangement. Je n’irai pas jusque
là ; cet effet est dû sans doute au fait que nous portons
tous les deux la moustache et que nous avons le même âge...
... Un beau jour de mai 1951, sa maman fut étonnée
de mettre au monde un bébé qui serrait un petit livre entre
les mains. La nature l’avait prédestiné et, dès lors,
nul ne s’opposa à la volonté éditoriale du garçon.
Ce fut donc sans grande surprise que j’appris
de sa bouche, en décembre 1976, après qu’il eut maîtrisé
toutes les techniques qui concourent à la naissance d’un livre,
sa volonté de se lancer dans l’aventure que devinrent les Éditions
du Fourneau. Il n’était pas très sûr de lui. Il ne
l’est pas toujours à l’heure qu’il est et pourtant il a édité
et imprimé une centaine de petits livres. Il se plaint toujours
de sa médiocrité, de son indigence mentale ; il souffre
en réalité d’un manque clinique de confiance en la qualité
de ce qu’il fait malgré les assurances que lui prodiguent tous
ceux qui le suivent. Il est comme ça, le Laucou, il faut faire
avec ou ne pas faire du tout...
Il vint donc me voir et m’expliqua son projet :
le pourquoi d’abord de son nom d’éditeur, soigneusement choisi.
Le fourneau, c’est l’athanor de l’alchimiste-typographe qui transmute
le plomb du caractère en l’or du livre. Sa façon de faire
vint ensuite : à partir de manuscrits qu’ils décide
de publier pour la seule raison qu’il le touchent (ses intérêts
le portent essentiellement vers les auteurs contemporains et certains
auteurs début de siècle), il conçoit son livre de
façon à ce qu’il entre en résonnance avec le texte,
de façon à ce qu’un réseau sournois de correspondances,
de fils ténus lient l’objet-livre et le texte qu’il porte. C’est
pour cela que tous ses livres sont différents les uns des autres.
J’ignore, moi qui, fort modestement, ne sait que tenir une plume, si cette
volonté est un bien ou un mal, si elle n’est pas par trop pléonastique.
Je ne puis juger que de mon côté de la lorgnette, celui du
facteur de textes. Tout ce que je sais, c’est que je trouve ses petits
livres agréables à lire et à toucher. Et ce n’est
déjà pas si mal !
Christian
Soulignac
septembre 1984
.
carton d’invitation
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Ce
texte comporte quelques redites avec la présentation en amont
mais il donne un éclairage intime sur l’ars fornacis
et en ce sens, il n’est pas inutile.
Expositions
« personnelles » des Éditions du Fourneau.
– Christian
Laucou et les Éditions du Fourneau, février
1981, librairie la Belle Gigue mystérieuse, Bruxelles.
– Exposition
sans faux col, octobre 1981, bistrot des Arts et Métiers,
Paris.
– Le
Fourneau en la Ville rose, décembre 1981, atelier
Privat, Toulouse (avortée).
– Pleins
feux sur le Fourneau, octobre 1984, librairie-galerie
Lettres ou Palette, Épernay.
– Le
Petit Fourneau illustré, octobre 1986, Les Fous
de l’Ile, Paris.
– Les
livres à tirage restreint des Éditions du Fourneau,
octobre 1987, galerie d’art de l’Ancien Collège, Sézanne.
– 20
ans de petits livres et 15 ans de Fourneau, juin 1993,
librairie-galerie Lettres et Images, Paris.
– 1977-1997,
vingt ans d’insuccès bien mérité,
juin 1997, librairie-galerie Graphes, Paris.
– Des nouvelles des arbres,
décembre 2004, librairie Privat l’Art de voir, Paris.
– Des
nouvelles des arbres, juillet 2005, Gutenberg et Compagnie,
Paris.
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