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sur les rails de l'amitié
Un ami disparaît et tout ce qui fut, au cours de notre vie d'amitié avec lui, remonte à la conscience. Le souvenir s'exerce, qui le plus souvent fait mal, à l'image du bleu sur lequel le doigt appuie pour en vérifier la réalité, celle du choc antérieur qui a marqué la peau. Le souvenir ? Non. Les souvenirs : épars, fragmentaires, colorés de diverses teintes pas toujours très réalistes — le temps pastellise — assemblés les uns aux autres comme les perles d'un gros collier dont le fil temporel n'est pas d'une solidité à toute épreuve. Quelques-unes de ces perles, donc. Enfilées à la va comme je te pousse, au fur et à mesure des remontées.
Ma première rencontre avec Jean-Hugues Malineau se fit à l'école Estienne au début de l'année scolaire 1976-1977. J'étais sorti de cette même école avec un diplôme en poche et j'y revenais, avec la complicité du professeur de typographie James Buffeteau, dans le cadre de ce qui s'appelait alors les « cours de promotion sociale » et que l'on appelle maintenant le Greta (ou le GRETA, tout dépend de l'obédience ortho-typographiques à laquelle on appartient). Je n'avais pas d'atelier pour réaliser mes premiers livres et j'avais trouvé ce subterfuge pour en disposer d'un. Je pensais mon idée originale et maline mais j'avais été devancé d'une année par Dominique Autié et Jean-Hugues Malineau qui s'y trouvaient déjà et qui pratiquaient l'atelier pour la deuxième année consécutive. Il y eut pour eux une troisième année, et pour moi une seconde, et tout s'arrêta là. James nous avait fait comprendre, un peu triste mais ferme, que nous ne pouvions nous servir indéfiniment de l'atelier d'Estienne. Il fallait laisser la place aux « vrais » élèves de promotion sociale. Cette dernière année, nous rejoignit, avec le même statut de « faux élève », la graveuse Martine Rassineux qui deviendra la compagne du typographe François Da Ros.
Le premier livre de Jean-Hugues qui entra dans ma bibliothèque fut réalisé sous mes yeux à Estienne, pendant que je concevais mes propres livres. Il s'agit du Manuel de typographie à l'usage des gardes-barrières. Couverture rouge, intérieur de pur fil Lafuma, un papier que l'on ne trouve plus de nos jours. Il est le seul livre de poésie à ne pas se trouver dans ma bibliothèque littéraire, aux côtés des autres livres des amis, mais dans ma bibliothèque technique. Titre oblige. Jean-Hugues l'avait composé avec des caractères de divers corps et styles pour former une typographie expressive. Le Coup de dés de Mallarmé était passé avant lui mais ce petit livre de grand format n'en avait rien d'une copie. Je l'ai récemment relu, regardé, feuilleté et rien de mon ravissement des années 1970 n'a disparu. Je ne lui conteste qu'un point de détail que je contestais déjà à l'époque (je crois me souvenir d'en avoir parlé alors avec l'intéressé), c'est le double passage légèrement décalé à l'encre noire et brune sur la page de titre. Il ne m'a jamais paru nécessaire.
Nous ne nous connaissions pas encore très bien à l'époque, nous n'étions pas encore devenus des intimes mais Jean-Hugues me le dédicaça : « Sur les rails de l'amitié ». Jeu de mots avec le titre, certes, mais qui va beaucoup plus loin qu'un simple jeu avec les mots. C'était la prémonition du voyage d'une vie amicale qui ne dérailla jamais.
Puisque nous sommes dans les allégories ferroviaires, c'est à Jean-Hugues que je dois d'avoir compris le rythme saccadé de la Prose du Transsibérien de Cendrars. L'anecdote se passe beaucoup plus tard que ce dont il vient d'être question, elle ne respecte pas la chronologie. J'avais lu le poème bien avant notre première rencontre mais un soir de la rue Sauffroy où devaient se trouver Dominique Autié et Gérard Bialestowski, sans doute d'autres, et où la conversation, comme très souvent, tournait autour de la poésie, il nous en récita par cœur le début, à la façon d'une locomotive… leçon de professeur de littérature (il l'avait été) mais brillante dans le rendu, et éclairante pour moi.
C'est grâce à Jean-Hugues que j'ai rencontré pour la première fois Gérard Bialestowski, un être solaire, bavard et généreux comme je n'en ai plus jamais rencontré depuis. Il venait de son lointain Arpajon pour passer des soirées littéraires, prandiales et bien arrosées rue Sauffroy, soirées desquelles il partait généralement le premier car il ne fallait pas qu'il rate son dernier RER le reconduisant à Arpajon. Ou alors, il passait nous voir à la sortie d'Estienne le midi pour manger avec nous. Lors d'un de ces repas, en juin 1977, Gérard sortit un calembour des plus douteux, imprononçable de nos jours en public sans risquer la vindicte et la désapprobation. Nous rigolions tous. Entre deux rires, j'affirmai solennellement : « J'édite ! ». « Chiche ! » me répondit Gérard avec sa grosse voix. Jean-Hugues mettait la dernière main à cette époque à Quatre amis et une image, un ensemble de minces plaquettes où quatre poètes : Gérard Bialestowski, Jacques Bussy, Andrée Chédid, et Pierre Peuchmaurd écrivaient autour d'une gravure de Catherine Malineau. Ce devait être le premier livre publié de Gérard. Jean-Hugues en corrigeait les épreuves. Je lui fis remarquer que Bialestowski s'écrivait avec un « i » et pas avec un « y » final. Il douta et il laissa. La semaine suivante à Estienne, le 18 juin comme en atteste son achevé d'imprimer, je composai et j'imprimai le calembour de Gérard qui devint le premier des 33 volumes de la collection « Calembour » des Éditions du Fourneau. Jean-Hugues m'avait donné des chutes de massicotage de ses précédents livres. J'y imprimai ce premier Calembour. J'orthographiai Bialestovski le nom de l'auteur et l'achevé d'imprimer porta la mention « imprimé sur chutes de Malynaw » (prononcer le « aw » comme dans le mot anglais law). Avec ce Calembour, petite chose fort peu sérieuse, j'avais grillé Jean-Hugues sur le poteau pour la publication du premier livre de Gérard. La semaine suivante, je publiais dans les mêmes conditions d'urgence, le volume 2 de la collection « Calembour ». Auteur : Jean-Hugues Malineau. Son Calembour, de mauvais goût comme tout bon calembour qui se respecte, était le suivant : « Quand le sanglier pisse froid, la hure rit noir. »
Le Calembour de Gérard Bialestowski, avec un envoi de l'auteur.
Couverture de Richard de Bas brique, intérieur : chute de Malynaw.
Le Calembour de Jean-Hugues Malineau.
Couverture de japon nacré, intérieur : chute identiques au n° 1.
Jean-Hugues avait fondé sa petite maison d'édition poétique : Commune Mesure et Dominique Autié, avec l'aide de son ami Henry Deschaseaux, participait activement à l'aventure de la sienne : Toril. Mais cela n'empêchait pas les deux hommes de se retrouver dans la peau de l'écrivain poète quand le besoin s'en faisait sentir. Ainsi Jean-Hugues, dans sa peau d'éditeur, publia Dominique dans la sienne de poète. Ainsi naquirent Royaume pour ses doigts et Rupestres. Ainsi vis-je les deux se faire. Si je ne garde pas de souvenir notables de la naissance de Royaume pour ses doigts, en revanche celle de Rupestres me marqua. Beaux papiers : Richard de bas brique pour la couverture et blanc pour l'intérieur, magnifiques gravures sur bois de Jean Coulon, d'une simplicité pariétale (il est très difficile de faire dans le simple), typographie en Bodoni, fondue au fur et à mesure des besoins sur la Ludlow que possédait alors Estienne. Le texte de Dominique était, bien entendu, admirable. Auteur et éditeur travaillèrent de concert pour fabriquer un petit bijou de papier et d'encre. Le livre me conquit tant que j'en fus le premier acheteur. Il fut plié et assemblé rue Sauffroy sous mes yeux et j'emportai mon exemplaire à l'issue de la soirée. [J'aime montrer les livres que j'apprécie. Mais je n'ai pas toujours un ordre parfait dans ma bibliothèque. J'ai dû ranger mon Rupestres ailleurs qu'à l'endroit où je le rangeais d'habitude... et je ne l'ai pas retrouvé. Mais Dominique Autié en parlait dans son blog : Rupestres].
Fin juin 1977, Estienne fermait ses portes pour l'été. Il ne nous restait plus qu'un an à profiter de l'atelier, mais nous ne le savions pas encore. Cela dit, notre soif d'imaginer et de réaliser des petits livres ne s'éteignait pas avec l'été et Jean-Hugues avait une solution de remplacement. Il avait acheté avec Jean Coulon un atelier complet de typographie et cet atelier se trouvait chez Jean, à Soignies, en Belgique. Je fus invité à m'y rendre en sa compagnie pour un bout d'été. Jean-Hugues n'a jamais passé son permis de conduire. Jean-Hugues ne conduisait pas, pas plus qu'il ne pilotait des avions ou des hors-bords, des camions ou des vaisseaux spatiaux. Je ne l'ai jamais vu sur un vélo mais peut-être savait-il en faire. Pour se rendre de ville en ville ou de pays en pays, Jean-Hugues utilisait le train, on y revient toujours. Je conduisais, moi, et j'avais une vieille 4L bleue. Je fus son train. On entassa du papier acheté à Paris pour les futurs livres, quelques vêtements, et pour la première fois de mon existence, je quittai la République pour un royaume. Gérard Bialestowski, et son épouse Brigitte, et leurs petites filles Alice et Camille, dont je fis ainsi la connaissance, ne tardèrent pas à nous y rejoindre. Ainsi que Catherine et Violaine Malineau.
L'essentiel de mon séjour à Soignies se passa dans l'atelier de Jean-Hugues et de Jean. Au début, exploration de ses possibilités, puis travail effectif. Deux petits livres du Fourneau naquirent ainsi : L'Iule de Gérard Bialestowski, une comptine imprimée en bleu sur papier recyclé gris d'Amalfi, sous couverture de papier peint, et Contes à mourir debout, de Sonia Trichaucul (!), un livre presque minuscule composé en corps 6.
Je ne pouvais pas mobiliser l'atelier pour moi seul, aussi, dès qu'il en éprouvait le désir Jean-Hugues reprenait possession des casses et des presses. C'est ainsi que je le vis terminer certains volumes des « Petites Choses » (je ne me souviens plus bien desquels) ainsi que les Œuvres complètes de Marie-Rose de France dont il ne restait plus que la couverture à imprimer. Je tombai immédiatement amoureux de ces petites proses poétiques à l'étrange beauté naïve et vraie, à telle enseigne que de nombreuses années plus tard, alors que l'ouvrage était épuisé depuis longtemps chez Commune Mesure, je demandai l'autorisation à Jean-Hugues d'en faire une nouvelle édition. Jean-Hugues me la donna mais le projet ne se réalisa pas.
Feuille d'essai avec indications de la main de JHM,
Un matin, nous fûmes désignés Gérard et moi pour aller faire quelques courses en ville. Jean-Hugues pour l'occasion se fendit d'une belle liste manuscrite de commissions et nous la remit. Je me souviens que dans cette liste se trouvaient mimolette (vieille) et Chimay (litre). Avec Gérard, pendant le voyage d'aller, nous plaisantâmes au sujet de la liste. Un authentique manuscrit de Jean-Hugues Malineau ! Un trésor pour bibliophile ! Et comme le calembour de Gérard quelques semaines plus tôt, je décidai (plutôt : nous décidâmes Gérard et moi) d'en faire un petit livre.
Quelques temps auparavant, avec un autre ami, Michel Tabanou, et sur une idée de lui, nous avions imaginé un organisme farfelu : l'Ordre de l'Échiquier Dada dans lequel j'avais embarqué sans même qu'ils le veuillent et sans qu'ils y fassent quoi que ce soit, Gérard et Jean-Hugues. C'est à l'OÉD que parut Les Bouffes célestes, titre de Gérard Bialestowski (sous son pseudonyne d'Étienne Tappecoue), liste de commissions de Jean-Hugues Malineau, sur une feuille de papier de luxe (chute de massicotage trouvée dans l'atelier) pliée en quatre volets (3 plis portefeuille) qui, avant de révéler la fameuse liste, était ornée d'une phrase de Christian Laucou : « Tout texte est littérature ». L'ouvrage fut réalisé en grand secret, en complicité avec Gérard. Je ne sais si Jean-Hugues fut réellement fier d'être le cosignataire d'une telle publication mais quand, terminée, elle lui fut offerte, elle le fit franchement rire.
Les Bouffes célestes par Malineau, Tappecoue, Laucou.
Deux ans ou trois après ce bout d'été belge, j'appris de Jean-Hugues que l'atelier avait été vendu par Jean Coulon qui, si je ne me trompe pas, avait dû déménager et ne pouvait le conserver. Jean-Hugues en était fort triste. Nous avions perdu l'accès à Estienne mais j'avais réussi, grâce à un livre du Fourneau fort bien et fort rapidement vendu, à me constituer mon propre atelier à Bannes, un petit village agricole du sud marnais. Jean-Hugues fut invité à Bannes quand il le voulait pour m'emprunter mon atelier et y réaliser ses productions. Il y vint quelques fois. J'allais le chercher, et le reconduire le travail fait, à la gare d'Épernay.
En cette période de la fin des années 1970 et des années 1980, je faisais souvent la navette entre Paris où je vendais mes livres et Bannes où je les réalisais. Quand j'étais à Paris, je ne manquais pas une occasion de me rendre chez les marchands de machines d'imprimerie d'occasion pour acheter de nouvelles casses de caractères ou du petit matériel, histoire d'améliorer mon atelier. Lors d'une de ces visites, le marchand me proposa une presse qu'il terminait juste de restaurer. Une machine plutôt prévue pour imprimer de l'affiche en petite quantité mais de bonne facture et surtout pas trop trop lourde. Je déclinai l'offre, ayant ce qu'il me fallait en la matière, mais je pensais à Jean-Hugues. Téléphone. L'idée lui plut et l'affaire se conclut avec le vendeur. Je fus l'une des quatre personnes à avoir le privilège de monter à bout de bras la presse jusqu'au au 5e de la rue Sauffroy. Jean-Hugues nous ouvrait le chemin, impérial. Je ne sais plus trop quel inconvénient physique l'empêchant de nous aider. La presse arrivée en place, nous la fêtames comme il se devait. Aux dernières nouvelles, elle habite toujours le 5e étage et elle s'est chargée d'imprimer la carte de vœux pour 2017.
mes amis. Couverture et maquette de couverture
avec indications à la main de JHM et de CLS.
Un week-end que Jean-Hugues était venu me voir à Bannes — je ne me souviens plus si c'était pour imprimer lui-même sa carte de vœux mes amis ou si c'était pour me donner à faire les Petites Nativités de Daniel Reynaud. Ce dont je suis sûr, c'est que nous étions à l'automne et que nous n'étions pas tous les deux seuls. Se trouvait avec nous Patrick Le Fur, un ami journaliste. La route qui nous conduisait de la gare d'Épernay à Bannes passait par des bois. Jean-Hugues, en mycologue averti, subodora qu'il devait y avoir du champignon dans la région. Ce qui voulait dire qu'il fallait y aller. Et l'après-midi même nous étions dans un autre bois, le mycologue averti et deux néophytes dont un, Patrick, en Perfecto blanc et en Santiags (tenue idéale pour la cueillette). Une ou deux heures plus tard nous rentrions à Bannes. Jean-Hugues avait rempli son panier d'un nombre non négligeable de bolets. Je dénichai dans la réserve de la maison une très bonne conserve de lapin chasseur qui s'accommoda à merveille avec les bolets que Jean-Hugues avait préparés. Un repas du soir peut-être un peu lourd mais qui ravit nos papilles, et qui fut suivi jusqu'à assez tard dans la nuit par des jeux littéraires, bouts rimés, charades, rébus et autres, jusqu'à ce que la fatigue nous vainque. Nous nous retirâmes chacun dans notre chambre. Petit déjeuner tardif le lendemain, un peu avant 11 heures. A 11 heures pile, Patrick, discrètement se dirigea vers les toilettes. Jean-Hugues, d'un œil intéressé regarda la porte close. Patrick était à peine sorti que Jean-Hugues se précipitait lentement et prenait d'assaut le lieu. A peine s'était-il enfermé que des gargouillis, heureusement peu sonores, envahirent ma tripaille pour me faire comprendre que je devais agir rapidement. Ce fut à mon tour de guetter l'ouverture de la porte et de me précipiter le plus dignement possible. A ma sortie nous nous avouâmes qu'une légère indisposition nous avait conduits tous à une certaine… liquidité. Ce qui nous fit rire franchement, en bons rabelaisiens, surtout pour la simultanéité. Le week-end finit et mes deux invités rentrèrent sur Paris. Deux ou trois jours plus tard, coup de fil de Jean-Hugues. Il avait cherché dans ses ouvrages de mycologie et y avait trouvé le type de bolets cueillis. Il m'en lut la notice qui se terminait par ces mots : « Peut provoquer de légères diarrhées. »
En 1986, Jean-Hugues fut chargé d'organiser à Saint-Denis la foire du Lendit ; ou plutôt de la ressusciter car cette foire naquit sous Charlemagne. Une foire qui au fil des siècles avait fini par se spécialiser dans le papier. Il dirigeait tout en grande coordination avec différents services de la mairie et avec les écoles dans lesquelles il avait fait écrire les enfants. Devant l'ampleur de la tâche, il m'avait proposé de m'en rétrocéder une toute petite part. Je devais me charger de contacter tous les fabricants de papier possibles, artisanaux et industriels pour leur proposer de tenir chacun un stand pendant la foire. La plupart des papetiers industriels se firent tirer l'oreille mais quelques papetiers artisanaux acceptèrent de jouer le jeu. Je devais aussi maquetter les travaux d'écriture des enfants des écoles ; ainsi virent le jour, pour la plus grande fierté des bambins écriveurs, six brochures tirées par l'imprimerie municipale de Saint-Denis.
Deux des six brochures
écrites par les enfants avec Jean-Hugues.
Jean-Hugues, de son côté, avait contacté tous les amis avec lesquels il organisait les animations scolaires autour du livre qui prenaient la suite de ses ateliers d'écriture. Les graveurs Michel Lasserre, Loulou Taÿeb, et Jean Coulon venu de sa Belgique ; de même que Walter Lauwers, papetier et mécanicien qui fabriquait son propre matériel ; aussi la lithographe Michèle Roland ; Catherine Chauvel, relieur, qui se faisait encore appeler Cerise, la calligraphe Claudine Dufour et les typographes Robert Niclaus et votre serviteur dans sa peau de petit éditeur. Violaine, la fille de Jean-Hugues, encore toute jeunette, tenait le stand d'accueil sur fond calligraphié du chapitre des torcheculs de Pantagruel agrémenté d'un décor de papier hygiénique.
Pour toute cette lourde organisation Jean-Hugues fut secondé par une dame, professeur à Saint-Denis. Une dame qui le regardait avec un curieux regard. Une dame que l'on revit à de nombreuses reprises par la suite. Une dame qui fit dire un temps à quelques-uns de ses amis, à voix basse, dès qu'il avait le dos tourné : « Mais qu'est-ce qu'il attend ! » Enfin, Jean-Hugues finit par ne plus attendre, et ce fut Jean-Hugues et Françoise.
Françoise et Jean-Hugues aux Fosses,
en compagnie d'Alain Roger, en 2005.
1995, Jean-Hugues eut 50 ans. Ce qui n'a rien d'exceptionnel en soi, beaucoup d'humains franchissent ce cap sans qu'il soit besoin d'en parler. Oui, mais il n'y a eu qu'un seul Jean-Hugues à avoir à ses côtés une Françoise qui, en grand secret, organisa une fête regroupant famille et amis de tous les horizons pour cette occasion.
Nous, ses amis du livre, nous nous réunissions chez Cerise pour lui faire un cadeau très original : un livre. Pas n'importe quel livre, bien sûr, un livre fabriqué par nous tous. Avec une légère contrainte : dans ce livre, nous devions réaliser la partie qui nous était la plus étrangère, nous devions faire ce que nous ne savions pas faire. Ainsi, Catherine Chauvel (Cerise, relieur) qui assurait la coordination du projet, réalisa une partie de la typographie, des pochoirs, et contribua à la boîte extérieure, Michèle Roland (lithographe) co-exécuta la typographie, réalisa la calligraphie complémentaire, des photographies, des pochoirs, des montages photographiques, Loulou Taÿeb (peintre et graveur) co-exécuta un temps la typographie puis passa à la réalisation de galettes de sarrasin (il fallait bien nourrir ce petit monde), Robert Nicklaus (typographe) réalisa un bois debout, à savoir qu'il grava un bout de mélaminé au marteau et au burin, ce qu'il fit en étant debout, Gérard Bialestowski (écrivain et dessinateur) fabriqua du papier bleu à la main, moitié avec des vieux journaux, moitié avec des boîtes à œufs (il fut, heureusement pour le livre, aidé par son épouse Brigitte), le papier blanc complémentaire fut celui de Luc Houard (un vrai papetier), Michel Lasserre (peintre et graveur) réalisa la reliure en mosaïque de papier, enfin je — Christian Laucou, touche à tout du livre mais commercial nullissime — fus chargé de vendre le livre ainsi réalisé à Jean-Hugues le jour de la fête contre une tournée générale d'apéro. Pour cela je conçus un prospectus, genre grande distribution. Ce livre que nous avions titré Keepsake Malinuche, était hideux, sans doute le plus hideux de tous les livres qui sont jamais entrés dans sa bibliothèque. Mais il était plein d'amour.
Première page du prospectus. Mauvais goût volontaire.
2002, ou 2003, ou 2004… je ne suis plus célibataire depuis 2000 et plus un solitaire volontaire depuis bien avant encore. J'ai eu l'air, en compagnie de quelques autres amis, de plaisanter dans le passé, un Jean-Hugues qui ne voyait pas les yeux qui se posaient sur lui avec insistance. Je n'étais guère mieux que lui en ne voyant pas ceux qui se posaient sur moi avec une insistance semblable depuis la fête du Lendit, ceux d'une Cerise redevenue Catherine, rencontrée par le truchement d'un Jean-Hugues grand rassembleur d'amis, une Catherine qui partage désormais ma vie pour le meilleur et le meilleur (monsieur le pire, frappez à la porte voisine, la nôtre vous sera toujours fermée). Nous avions eu, en 1998, la possibilité de réunir nos deux ateliers dans un seul lieu, la plus grande cour artisanale et artistique encore en activité en plein cœur de Paris, dans le faubourg Saint-Antoine, qui regroupe plus de cinquante ateliers. J'ai dit la cour, je devrais dire les cours, car il y en a trois, à la queue leu leu. Las, quelques années plus tard, les cours étaient vendues à un promoteur immobilier et nous les artisans et les artistes devions nous battre contre lui pour garder au lieu sa vocation de toujours et nous maintenir en place. De nombreuses fêtes furent organisées pour sensibiliser la population alentour et les diverses autorités (nous marchions main dans la main avec la mairie de Paris). Lors d'une de ces fêtes (laquelle ?...) nous avions programmé, Catherine et moi, dans nos locaux de l'escalier G, un duel entre deux combattants d'égale force. Un duel ? Oui ! Un duel de comptines entre Jean-Hugues Malineau et Gérard Bialestowski. Deux des plus grands auteurs de comptines qu'il m'ait été donné de rencontrer, tant en quantité qu'en qualité. Grand bonheur pour tous les spectateurs (et il y en avait !) que de les voir se lancer leurs comptines respectives à la tête l'un de l'autre. Quand Gérard eut épuisé la totalité des comptines qu'il avait eu la précaution de noter sur des feuilles, le duel faillit tourner court mais Jean-Hugues le reprit, seul, alternant entre ses comptines à lui et celles de Gérard qu'il connaissait toutes par cœur.
Une comptine animale de chacun d'eux, pour mon plaisir égoïste :
Le perroquet (JHM)
C'est très coquet
Un perroquet
Des plumes rouges
Bleues violettes
Ça vit ça bouge
Et ça répète
C'est très coquet
Un perroquet
Dans un baquet
Un perroquet
Ça fait trempette
Et ça répète
C'est très coquet
Un perroquet
C'est beau, c'est sec
Après toilette
Et ça répète
Du bout du bec
C'est très coquet
Un perroquet
Tais ton caquet
Vieux perroquet
Mais ça répète
Saperlipopette
Le pangolin (GB)
Le pangolin
lingot d'écailles
cassa ses ongles
aïe aïe aïe.
Trésor des jongles
d'Angola
le pangolin
dégringola.
Au cours de son existence, Jean-Hugues publia de nombreux livres. Mais pas beaucoup au Fourneau-Fornax. A la fin des années 1990, j'ai voulu réparer cette injustice criante et je lui demandai de me donner un petit texte. Il me le donna de bonne grâce. Un poème en prose : Shéhérazade. Je ne sais pas comment fonctionnent les autres créateurs de livres, je ne sais pas si c'est facile ou compliqué pour eux de donner une forme tangible à un texte. En ce qui me concerne, soit l'image s'impose d'elle-même, très rapidement, et très rapidement le livre se fait ; ou alors cette image, floue toujours au départ, prend son temps pour devenir nette, comme avec un objectif photographique qui mettrait un temps infini à faire le point. Pas de juste milieu. Avec Shéhérazade, l'image est restée floue pendant longtemps. Et un beau jour, tout s'est éclairci dans ma tête, je sus ce que je devais faire. Jean-Hugues était à deux doigts de s'impatienter quand je me mis à la réalisation pratique du livre, courant 2001. J'ai saisi la composition et gravé les linos en quelques jours. L'impression suivit. Je me suis même payé le luxe d'y faire figurer un coquelicot, l'une de nos fleurs préférées à Jean-Hugues et à moi. Un peu pour me faire pardonner mon retard. Quand il l'eut entre les mains, il commenta l'ouvrage ainsi : « C'est bien. Fallait pas en faire plus. » C'est tout ce que j'espérais. L'ami, le poète, le petit éditeur et concepteur de livres était content. Ce qui fit mon contentement à moi...
Shéhérazade de JHM, gravures de Soulignac.
Voilà ces quelques bribes, ces quelques perles enfilées à la suite, dans un désordre à peu près chronologique. Il y en a d'autres dans ma tête, qui veulent encore y rester au chaud pour l'instant. On ne résume pas quarante ans d'amitié. On se souvient un peu, c'est tout.
Reaction #2
Reaction #1
George Auriol
sur l'ultime création
de M. Pullmann
20 pages,
format 11,2 x 13 cm.
tirage à 100 exemplaires en typographie.
CLS
Un volumen,
79 cm de long, 17,5 cm de haut.
tirage à 10 exemplaires en linogravure.
Marie-Rose de France
26 petits textes en proses poétique. Vignettes de CLS.
tirage à 120 exemplaires en typographie au plomb.
Pierre Pinelli
24 pages,
format 15 x 20 cm.
tirage à 100 exemplaires en typographie au plomb.
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